"The way I am" aurait pu être le refrain d'un "race record" des années 60, quand la Soul résonnait des slogans de la fierté noire. C'est aussi le titre de l'album de Cherry Boop & The Sound Makers, un retour audacieux, captivant, aux sources d'une musique libératrice, celle des artistes afro-américains promettant des lendemains qui dézinguent. Derrière ces chants, point de "ghetto brother", mais une fantasque "Marilyn de la soul" et ses faiseurs de sons.
Voyage dans le temps, ce disque enjambe également les frontières. Première escale à Girona, en Espagne, où la troupe a enregistré ses onze pépites. Aux manettes, le compositeur Olivier Pot et l'arrangeur Joan Barrientos, taquinant micros à ruban et instruments vintage, comme le Wurlitzer et le Glockenspiel, et reprenant à leur compte les techniques d'enregistrement de la Motown : "tout en respectant les secrets de fabrication de la Soul, nous ne voulions pas singer le répertoire mais proposer des mélodies originales", décrypte Cherry Boop. Direction ensuite Philadelphie, dans l’antre de Bobby Eli, ex-gâchette du mythique groupe MFSB, où été mixé ce petit bijou marqué au fer du "Philly sound" et de ses orchestrations luxuriantes de cordes et de chœurs. Le miracle ne s'arrête pas là : la chanteuse cherche une voix masculine pour le sensuel duo "I want to give you my everything" popularisé par Carl Douglas ; Bobby appelle son pote William Hart des légendaires Delfonics et voilà le dinosaure en studio pour croquer la Cherry. C'est un fait, de bonnes fées veillent sur ce projet.
Groove Makers. A l'heure de la crise du disque et des formations microscopiques, Cherry et son combo remettent au goût du jour les big bands d'après-guerre : guitares clinquantes, caisse claire qui claque, dentelles de basse et nappes de Wurlitzer, lézardées d'une riche section de cuivres, ces gars-là ont biberonné à la bonne vieille Soul. Funk, free jazz, sons de la Staxx, Cherry Boop & The Sound Makers déroulent une B.O. à faire baver Tarantino. Entre mélopées des soul sisters et envolées des divas jazz, la pin-up à la voix de velours chemine sur les traces de ses idoles Tammi Terrell et Brenda Holloway.
Parmi les refrains endiablés, quelques poings levés crèvent les portées à l'image du titre "I'm the man", clin d'œil futé au mot d'ordre des droits civiques, ou de l'énergique "Say it loud", "un détournement du cri de James Brown à la mode féminine", pique la meneuse de troupe, moins fragile qu'il n'y paraît. Dans une première vie, Cherry a été danseuse de jazz, foulant les prestigieuses scènes new-yorkaises ; aujourd'hui, c'est avec la même discipline qu'elle a travaillé sa technique vocale, plutôt Miss mélodie que braqueuse à coffre fort. Surtout, la blanche Boop qui se rêvait en panthère noire ne cesse de le scander : "black music is beautiful". Chez elle, les femmes montent sur scène quand les hommes descendent dans la fosse. A l'image des Supremes ou de Martha & The Vandellas qu'elle convoque sur le jubilatoire rhythm and blues "No answer", Cherry Boop chante, sans jamais minauder, "ces histoires d'amour qui sont le thème central de la Soul music, affichant des corps libérés, la chair nue" ("It's over"). Il y a là des rires, des fièvres, des fêlures, quelques suppliques gospel et des fruits étranges. Atypique, intemporelle, cette plongée à "Philly" remet en lumière la bande-son d'une révolution en chansons.